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– BAMENDA : le peuple Mankon pleure la disparition de son roi et accueille son successeur

Pour les habitants de Mankon, dans les champs de graminées du nord-ouest du Cameroun, leur roi – connu sous le nom de fon ou fo – ne meurt jamais. Il disparaît tout simplement.

Fon Angwafor III

Le gouverneur régional Adolphe Lele s’est donc attiré les foudres du peuple Mankon lorsqu’il a brisé un tabou en annonçant la mort du Fon Angwafor III, âgé de 97 ans, à la fin du mois dernier.

« Le fon est le gardien de toutes les terres de Mankon. Il est la source même de notre ressort culturel. Il est la fontaine de notre spiritualité. Il est le pont entre le passé, le présent et l’avenir »,

déclare l’avocat Joseph Fru Awah, un notable Mankon.

Monté sur le trône en 1959, Fon Angwafor III est le premier monarque à avoir reçu une éducation occidentale. Il est allé à l’école à l’époque où les enfants royaux étaient tenus à l’écart des salles de classe pour les protéger de ce que l’on considérait comme une affaire de roturiers.

Il a poursuivi ses études en obtenant un diplôme d’agro-technicien dans un pays où l’agriculture fait partie de la vie quotidienne de nombreuses personnes.

Comme tous les monarques Mankon, il était polygame et, conformément à la tradition, le nombre de ses épouses n’a jamais été révélé. Mais dire qu’il en avait une douzaine serait une estimation prudente. On pense également qu’il a des dizaines d’enfants.

Fon Angwafor III était fréquemment appelé le Roi Salomon le Sage par ses sujets.

« Il a toujours eu l’air d’un professeur. Chaque fois que je le rencontrais, je repartais avec des éléments de réflexion et beaucoup d’humour »,

témoigne Eveline Fung, qui a rencontré le roi à de nombreuses reprises.

Le deuil du monarque a été suivi de célébrations après l’intronisation du nouveau roi.

Mais il a eu son lot de critiques. Lorsque le régime colonial a pris fin dans les années 1960, il a été l’un des architectes de l’unification des territoires contrôlés par les Anglais et les Français dans ce qui est aujourd’hui le Cameroun.

Mankon est l’un des plus grands royaumes du Cameroun anglophone, où vivent des centaines de milliers de personnes.

Certains de ceux qui prônent la sécession du Cameroun anglophone n’ont jamais pardonné à Fon Angwafor III d’avoir soutenu l’unification.

Fait rare pour un monarque, il a également siégé au Parlement, entrant dans l’histoire en devenant le premier – et le seul – député indépendant du Cameroun de 1962 à 1988.

En 1990, il devient le vice-président national du parti au pouvoir sous Paul Biya, le président du Cameroun. Il est resté à ce poste jusqu’à sa « disparition ».

Ses détracteurs estiment qu’en tant que monarque, il n’aurait pas dû s’engager dans la politique partisane. Mais il a défendu sa décision, insistant sur le fait qu’il était « le père de tous » et que son engagement en politique visait à faire progresser le développement des communautés.

Interdit de verser des larmes

Il a fallu trois longues semaines pour que le Kwifor, le conseil suprême secret des faiseurs de roi Makon, déclare officiellement la « disparition » du roi.

Jusque-là, les gens chuchotaient des phrases comme « il y a de la fumée dans le palais », et refusaient même de dire que leur monarque avait « disparu » – bien qu’il ait déjà été « inhumé » dans un lieu sacré inconnu du public.

Les Mankon considèrent qu’il est tabou de dire que leur roi a été enterré.

Les hommes Mankon ne sont pas autorisés à porter des casquettes pendant la période de deuil.

Une fois l’annonce de sa « disparition » faite le 29 mai, les hommes n’ont pas porté de casquette et les femmes n’ont pas cultivé en signe de respect pour le monarque.

Le deuil a culminé le 7 juin lorsque des dizaines de milliers de personnes se sont rendues au palais royal tricentenaire de Bamenda, une ville de 500 000 habitants et le cœur des Mankon.

Mais personne n’a versé une larme. C’est une abomination de pleurer un fon disparu.

Des cailloux jetés au nouveau roi

Les femmes et les hommes étaient vêtus de jupes faites de tiges de bananes séchées ou de bambou.

Le haut de leur corps était nu, à l’exception des femmes qui portaient des soutiens-gorge noirs.

Flanqué de membres du Kwifor, le nouveau roi – fils de Fon Angwafor III – est entré dans la cour du palais, pieds et torse nus, avec seulement un tissu blanc autour de la taille.

Le nouveau roi, vu avec un bâton, a été présenté à ses sujets.

La foule lui lance doucement des cailloux et des petites pierres, de l’herbe et des feuilles, dans un rituel symbolique pour montrer que c’est la dernière fois qu’un roturier lui fait du mal ou lui manque de respect.

Au fur et à mesure qu’on lui lançait des cailloux, il s’enfuyait en courant vers le palais tandis que ses sujets se dirigeaient vers les ruisseaux voisins pour se laver de la cendre dont ils s’étaient couverts.

Ils ont ensuite revêtu leurs plus belles tenues traditionnelles, notamment des robes et des coiffes colorées faites à la main, avant de retourner dans la cour royale.

C’était un moment de joie et de célébration pour marquer la « réincarnation » du fon disparu en son successeur.

« Lui, Fon Angwafor III, règne, puis il disparaît, comme pour se retirer et rajeunir, puis il réapparaît avec une verve et une flamme renouvelées pour rallumer la flamme toujours brûlante de la nation Mankon »,

explique le secrétaire général du Conseil traditionnel Mankon, Ntomnifor Richard Fru.

Et c’est ainsi qu’Angwafor John Asaah, choisi par le roi « disparu » comme son héritier, est sorti du palais.

Vêtu d’un pagne rougeâtre, il a été hissé par le Kwikfor sur un tabouret finement sculpté pour signifier qu’il avait été « intronisé ».

Le nouveau monarque s’est assis sur un tabouret qui symbolise son trône.

La foule a explosé de joie sur la place du palais lorsque, pour la première fois, le Kwifor a déclaré ses nouveaux noms : Fo Fru Asa-ah Ndefru Angwafor IV.

« Qui voudrait manquer un événement qui a mis 63 ans à se produire ? »,

explique Adeline Nguti, qui s’était rendue au palais pour assister à cet événement historique.

« Le prochain événement pourrait ne pas avoir lieu de mon vivant ».

Sa sœur jumelle Irène ajoute :

« nous sommes tous ici pour accueillir notre nouveau roi dans le strict respect de la tradition. C’est ce que notre culture exige. J’espère que le nouveau fon sera un grand gardien de notre tradition, tout comme son père.»

Mais un rituel manquait : les tirs de célébration des hommes Mankon, avec leurs fusils de chasse. Le gouvernement a interdit les armes à feu – normalement tirées lors des cérémonies culturelles – il y a quelque temps en raison de l’insurrection menée par des groupes armés qui réclament la sécession du Cameroun anglophone.

C’était un rappel poignant du conflit qui frappe la région depuis 2017. Beaucoup espèrent que le nouveau roi contribuera à instaurer la paix.

Randy Joe Sa’ah, BBC News, Bamenda

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