CHRONIQUE LITTÉRAIRE
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LA FEMME DE QUELQU’UN : épisode 14

… J’ai juste envie de disparaitre face à ce regard vicieux et constant que me projette Anna, sans aucune gêne elle me sonde sans rien dire.
Nous sommes juste tous les deux au salon et je commence vraiment à m’impatienter de l’arrivée de Mme Evelyne, je me demande si ce n’était pas une mauvaise idée de vouloir l’attendre.

Anna : Alors…

Ce mot qui entraîne des milliers. J’espérais que notre vœu de silence dure encore un moment avant qu’elle n’improvise. Mais là ce n’est carrément pas le cas.

Anna poursuit : … Comme ça tu es un excellent cordon bleu.

Moi : Je me débrouille.

Anna : Quelle humilité. Je ne vous comprends vraiment pas, vous les personnes performantes… Il faut toujours que ce soit les autres qui louent vos prouesses. On m’a parlé de ta cuisine Gérôme, surtout tes spécialités… Toutes succulentes.

Moi : Tu penses qu’elle va encore mettre beaucoup de temps ? Je veux dire… Pour se réveiller. Il commence à se faire tard.

Anna s’ajuste sur son canapé : Tu te sens menacé ??

Moi : Pardon !? De quoi tu parles ?

Anna : Tu es sur la défensive Gérôme, je te trouve tellement tendu comme si quelque chose n’allait pas… Je t’ai dit que je n’avais pas l’intention de te croquer.

Je déteste cette sensation d’être menacé. Elle est belle, vraiment belle. Ce genre de femme qui réussit à te faire tomber dans son jeu pour ensuite te lâcher comme un vulgaire pion. Elle a, je dirais entre vingt trois et vingt quatre ans, pourtant elle en fait beaucoup plus de part son comportement mature.

Je suis extrêmement mal à l’aise que j’en transpire presque. Je veux juste délivrer ce message et me barrer d’ici, éviter son regard charmeur et inquisiteur. Chaque mouvement venant d’elle est une formule de séduction et sa position assise les pieds croisés couronne tout. La fente sur sa jupe laisse entrevoir ses cuisses claires… Et c’est fait exprès je le sais. Elle m’observe attentivement, elle analyse tous mes faits et gestes et s’amuse à me déstabiliser. Je ne suis pas faible, juste mal à l’aise. Je ne suis pas très doué pour les jeux de séductions et l’intrigue qui s’invite me rend presque pâle. J’avale une bouffée de salive et je me décide à enfin affronter son regard.

Moi : À quoi… tu joues Anna.

Elle sourit de plus belle : Je ne vois pas de quoi tu parles.

Moi : Je ne vais pas te cacher mon impression, c’est comme si tu me draguait.

Anna s’esclaffe et rit comme une folle en se tenant les côtes. Je tombe tout à coup dans un état de ridicule sans précédent, mais je ne donne aucune impression d’être intimidé. Enfin c’est ce que je crois… Elle arrête de rire.

Anna : En plus de bien cuisiner, tu sais faire des blagues. J’ai rit et c’était vraiment sincèrement… Tu es tellement drôle Gérôme.

Moi : Je ne comprends pas de quoi tu parles.

Anna : Vous les hommes. Une fois que vous ne pouvez pas atteindre une femme, vous fantasmez sur sa personne au point d’avoir des impressions que vous vous logez vous même dans le crâne… Je ne peux pas t’en vouloir.

Moi : Depuis le jour où je suis venu ici pour la première fois, la façon dont tu te comporte me donne cette impression… Tout prouve.

Anna : Je te rappelle que c’est toi qui m’a regardé en premier et n’arrêtait pas de me fusiller du regard.

Merde !! C’est vrai. Mais si je l’ai fait ce n’était pas par convoitise, mais par simple curiosité. J’ai été tellement grotesque dans ma façon de me comporter et voilà ça me retombe à la figure… Mais à quoi elle joue bon Dieu ?

Anna se lève et passe juste devant moi pour se rendre à l’armoire où se trouve des bouteilles de whisky. Elle l’ouvre et fait sortir deux verres et une bouteille. Entre ses doigts, elle tient la tige des deux verres à pied et dans l’autre main la bouteille de whisky. Elle revient s’asseoir…

Anna : Tu…

Moi : Non. Je ne bois pas merci…

Elle se sert et se met à boire tout doucement sans rien dire. Le silence m’embête, ce qui n’est visiblement pas le cas pour elle.

Moi : Je suis en couple.

Anna : Gérôme. Je ne crois pas t’avoir posé une question dans ce sens ? Pourquoi tu te sens menacé ??

Je me lève : Ça suffit. Je crois que je vais passer une autre fois.

Mme Evelyne arrive sur le coup comme si elle attendait. Elle apparaît tout en haut des escaliers de la salle de séjour les yeux alourdis.

Mme Evelyne : Gérôme ??

Moi : Eeuu… Bonsoir Mme… En fait… en fait si je suis là c’est pour vous demander un service. Bref surtout une demande d’engagement.

Mme Evelyne menace sa fille du regard avant de m’inviter à la rejoindre dans la salle d’en haut. Enfin je me libère de cette panthère noire qui n’arrêtait de se plaire à me lacérer de ses griffes acérées…

Je rejoins Mme Evelyne.

Mme Evelyne en s’asseyant : Ne lui en veut pas. J’imagine le martyre qu’elle t’a fait subir… C’est son mauvais côté.

Moi : J’étais sur le point de partir. Heureusement que vous êtes arrivé…

Mme Evelyne : Si tu es là, c’est pour une raison qui en vaut la peine. Je ne t’ai pas trop fait attendre j’espère. J’espère aussi que les nouvelles ne sont pas mauvaises.

Moi : Non. Pas du tout… Il s’agit de deux personnes qui m’ont soumis leur besoin d’avoir un poste dans le restaurant. Ces personnes me sont en quelque sorte proche.

Mme Evelyne : Gérôme, tu es le gérant. Tu en sais tellement mieux que moi… Je ne créé plus les postes comme ça, et tu sais que c’est serré.

Moi : C’est une doléance de ma part Mme. Une demande de faveur. En fait il s’agit de ma cousine et d’un frère du quartier d’où je viens.

Mme Evelyne après un soupire : Je te comprends. Tu es une personne au grand cœur et il faut aider les plus jeunes. Mais je ne vais pas te mentir… Je ne peux créer un emploi que pour une seule personne entre les deux et c’est au moment où je te parle que je viens d’improviser.

Je chuchote : Nom d’un… Et il s’agit de quoi comme travail ?

Mme Evelyne : Travailler directement au four. Parfois les machines sont défaillantes et il faut de temps en temps un apport humain… C’est une nécessité.

Moi : Ce n’est pas un travail de filles ça !!

Mme Evelyne : Justement. Donc celui qui a le plus de chance d’être pris, c’est ton petit. Pour ta cousine les enjeux seront un peu plus complexes.

Moi : Je vois. Je comprends aussi… Merci Mme. Je vais rapporter la nouvelle.

Je suis déçu c’est vrai, mais que faire ? Tout ce qui m’attriste c’est la tristesse que je visualise quand je pense au regard de Jodelle quand je vais lui annoncer la nouvelle.

Mme Evelyne : Pour l’instant il n’y a rien en vue. Mais je vais essayer de voir… Je ne sais pas trop. Mais au restaurant c’est impossible qu’elle y soit Gérôme.

Je me lève : Vous avez déjà beaucoup fait pour moi.

Mme Evelyne : J’aurais voulu en faire beaucoup plus. Désolé… Je vais t’accompagner à l’extérieur.

Nous traversons la première salle. Je suis tellement emporté que je ne prends pas le temps de regarder Anna.

En chemin, j’appelle Jodelle. Son téléphone sonne quelques secondes avant qu’elle ne décroche. L’énergie positive dans sa voix aggrave ma peine.

Jodelle : Allô bébé ???

Moi : Tu es à la maison ? J’ai à te dire.

Jodelle : Tu me fais peur là, c’est rien de grave j’espère.

Moi : C’est par rapport au boulot… Ton poste.

Jodelle change directement de ton et devient moins enthousiaste.

Jodelle : D’accord chéri, je comprends déjà. Je suis à la maison tu peux passer demain… Parce que ce soir c’est un peu tard non!?

Moi : Je voulais te voir ce soir pour en discuter.

Jodelle : Dans ce cas, c’est moi qui vais venir chez toi. Comme ça on pourra passer la nuit. Si tu viens ici, tu vas te retrouver entrain de rentrer trop tard et ce n’est pas bien. Tu dois être fatigué.

Moi : Je ne te le fais pas dire.

Jodelle : Tu as mangé quoi Gérôme ? Je vais faire un petit marché pour venir te préparer quelque chose.

Moi : À cette heure ? Tu es sérieuse ? Je pensais surtout à juste grignoter un petit truc pour ne pas dormir le ventre vide.

Jodelle rigole : Et dire que tu travailles dans un restaurant. C’est un peu paradoxal non!? C’est comme un couturier mal habillé.

Je me mets aussi à rire. Malgré tout je ressens la peine qu’elle essaie de camoufler dans sa voix.

Moi : Tu sais que la nourriture du restaurant ce n’est pas pour nous, ils sont très strictes sur cette notion et je n’aime même pas trop.

Jodelle : D’accord… Dans une heure je serai là. Si tu veux te reposer un peu en m’attendant, il faut le faire. Je ne veux pas arriver tu commences à somnoler.

Moi : C’est compris Mme.

Je raccroche, je souris et je traine quelques instants surplace avant de m’en aller.

Même si sur ce côté nous ne trouvons pas une solution, je suis tellement sûr que d’autres possibilités et opportunités vont se présenter.

À suivre…

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