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CAMEROUN – AFFAIRE DU “SERPENT” QUI AURAIT AVALÉ UNE JEUNE FILLE À NGOUSSO: un cas des mythes et délires de la société camerounaise

La célébration de la 30ème édition de la journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai 2023, a donné l'occasion aux journalistes camerounais de faire leur introspection.

Avec l’ancrage des réseaux sociaux dans la société camerounaise actuelle, bien de confrères se livrent, de manière régulière, à la publication des fake news. Plutôt que d’informer, une des fonctions cardinales du journalisme, le travail de certains navigue, aujourd’hui, entre désinformation, mésinformation et mal information.

Avec l’émergence des techno médias, l’on note l’ampleur, voire la fulgurance des fake news dans les domaines aussi variés que la politique, l’économie, la santé, les faits divers que le sport, les marques et les célébrités. De manière globale, trois déterminants permettent de comprendre le phénomène de la démultiplication des deep fakes. En effet, les fake news sont le résultat de la paresse des journalistes. Bien de journalistes ne font aucun effort de vérification, de recoupement et de confrontation des sources parallèles face à la civilisation de l’instantanéité. Parfois, même les professionnels de l’information, a priori sérieux et rigoureux, tombent, malencontreusement, dans le piège de la diffusion des rumeurs. L’on se souvient, il y a quelques années, un célèbre quotidien de la place avait publié, à sa grande une, la fausse information liée à la mort du pasteur Tsala Essomba, fondateur de l’église”Va et raconte !”. Ainsi, avait-on lu: “Tsala Essomba est mort”. Pourtant, ce n’était qu’une rumeur. L’on se souvient, ces derniers jours, de la rumeur liée à l’annonce de la mort du Roi Sokoudjou, tout comme l’on se rappelle de l’annonce de la fausse mort de Paul Biya en 2004. L’actuel président de la république avait, d’ailleurs, donné rendez-vous aux uns et autres dans 20 ans. Nous sommes en 2023. Faites le décompte et vous saurez quel nombre d’années il reste pour la tenue dudit rendez-vous. La fausse mort de Govinal Ndinga Essomba, artiste-musicien camerounais notoirement reconnu, a été aussi annoncée il y a deux semaines.

De plus, la prolifération des fake news est le corollaire de la chasse au scoop. En fait, avec le diktat des techno médias sur les mass médias, il y a, aujourd’hui, des nouvelles sirènes médiatiques, qui exercent une influence prescriptive et massive sur les journalistes au point où ces derniers ont la propension à reprendre, voire à reproduire les fake news dans leurs site webs, dans leurs blogs, dans leurs journaux, ainsi que dans les médias audiovisuels. Des influenceurs, des lanceurs d’alertes, des cyberactivistes, des blogueurs, des Tik tokeurs et des web comédiens appartiennent à la nouvelle génération des prescripteurs propagateurs de la désinformation, de la mésinformation et de la mal information. Ce sont, pour reprendre Paul Lazarsfeld, Sociologue américain de la communication, des “gate keepers” des réseaux sociaux, dont les pages Facebook officielles sont largement suivies par de milliers d’internautes. Comme bien de lecteurs ne disposent pas de la capacité critique de questionnement épistémologique des sources et ne font pas toujours preuve de distanciation (critique) entre l’objet informatif et le sujet cyberactiviste qui en fait écho, ils likent, partagent et commentent abondamment certaines fausses informations postées. Cette manière de faire créé, à certains moments, une catharsis sociale. D’où le defoulement de la masse populaire techno médiatique. Et pourtant, une information populaire n’est pas forcément vraie, crédible et fiable.

Affaire du “pantacollant serpent” à Ngousso
Hier(mercredi, 10 mai 2023), la rumeur relative à un monsieur qui se serait transformé en serpent dans son véhicule et qui aurait avalé une jeune fille a été publiée, partagée, relayée et propagée comme une traînée de poudre. Que de commentaires saupoudrés de postures, de grilles de lecture et de conjectures ! Que n’a-t-on pas lu, vu et entendu hier sur cette rumeur, laquelle ressemble, de manière étrange, au phénomène de la soi-disant disparition des sexes relayée de manière ostentatoire à une certaine époque. Au départ, c’est une journaliste célèbre connue dans le champ médiatique local qui a fait un post sur sa page Facebook en début de matinée. Quelques minutes après, des confrères, des lanceurs d’alertes, influenceurs et autres cyberactivistes ont, abondamment, relayé cette pseudo information sans descendre sur le terrain, sans recouper, vérifier et confronter les sources parallèles. De 5 heures à 13h, il y a eu une espèce d’emballement techno médiatique au point où bien de personnes ont crédibilisé cette fausse information. C’est vers 15h que certains, après avoir fait un tour à la brigade de gendarmerie de Ngousso, se sont ravisés et se sont mis, illico presto, à supprimer leurs premiers posts bourrés de fakes à ce sujet. Incroyable !

Des versions discordantes en matinée aux versions convergentes en soirée, chacun(e) y est allé(e), de manière mimétique, avec ses intentions, ses émotions, ses pulsions, ses représentations, ses perceptions et ses passions. C’est finalement plusieurs heures après que d’aucuns se sont rendus compte du fait que c’est plutôt la dame âgée de 23 ans qui a arboré, passez-moi l’expression prosaïque, un pantacollant aux rayures de la peau d’un serpent qu’un individu a confondu avec un serpent dans le véhicule du monsieur au centre d’une tension sentimentale avec cette dernière.

Trop de rumeurs ont donc circulé sur cette affaire. Il s’agit là, pour reprendre Valentin Nga Ndongo, Sociologue, des “mythes et délires d’une société camerounaise en crise”. Ces rumeurs, mythes et délires qu’il avait débusqués et autopsiés en 1993 dans un ouvrage et qui, quelques années plus tard, ont fait l’objet d’une Thèse de Doctorat d’État axée sur le phénomène de l’opinion publique (cas référentiel de la rumeur au Cameroun) et soutenue avec brio et dextérité à l’Université de Yaoundé 1, refont surface aujourd’hui et continuent de défrayer la chronique.

La production des fake news est, enfin, la conséquence de l’ignorance des règles professionnelles. Les nouveaux flingueurs et dictateurs des mass et techno médias ne respectent pas les normes éthique et déontologique chères à la profession de journaliste. Les uns et les autres s’autoproclament “journalistes”, reçoivent un boom informatif, mais ne savent pas traiter méticuleusement les données en leur possession suivant les canons professionnels dispensés dans les écoles de journalisme d’ici et d’ailleurs. Résultat des courses : soit ils tombent dans la confusion entre information et communication à telle enseigne que l’objet médiatique est difficilement identifiable ou identifié ; soit ils basculent, sans coup férir, dans le colportage, la propagande, le chantage ou, a contrario, dans le lynchage et l’objet médiatique est dilué, voire occulté dans les invectives ou dans les dithyrambes; soit ils ne savent même pas de quoi il en retourne en terme informatif et s’enlisent dans un mimétisme béat, en partageant, purement et simplement, ce que la masse techno médiatique a relayé -fût-il vrai ou faux-. Illico presto, ils sont happés par le quadruple écueil de la mal information, de la désinformation, de la mésinformation et de la manipulation. L’affaire Martinez Zogo parfois coincée dans les embouteillages de la désinformation et de la manipulation est un exemple typique observable depuis le 23 janvier 2023, jour où le corps sans vie du chef de chaîne de Amplitude Fm avait été découvert à Ebogo 3, une banlieue de la ville de Yaoundé. Que n’a-t-on pas lu, vu et entendu à ce sujet? A chacun(e) d’en juger fort opportunément !

D’ores et déjà, dans l’optique d’éviter de demeurer des followers passifs, en relayant les fake news, il vaut mieux, au premier abord, investiguer, vérifier, recouper, critiquer, questionner et confronter les sources informatives primaires et secondaires avant de rendre publique toute information vraie, crédible et fiable. Aussi est-il impérieux d’installer les logiciels numériques pour protéger les messages contre l’infiltration et l’inféodation des fake news. Ainsi, chacun(e) pourra-t-il élaguer une flopée de rumeurs qui pullulent sur la toile. Vivement que chacun(e) prenne ses responsabilités et s’attèle résolument à le faire! La course au scoop est, parfois, contre-productive après s’être rendu compte de la diffusion d’une rumeur. Faites gaffe !

Source : Panorama papers

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