FÉMINICIDES – ALERTE AUX CRIMES PASSIONNELS
« Les situations de mal-être et de stress, peuvent expliquer les crimes passionnels », Dr Laure Mengueme Mviena
Questionnée sur la montée fulgurante des crimes passionnels au Cameroun, le sous-directeur de la santé mentale au ministère de la Santé Publique, apporte des réponses scientifiques qui justifient cet état de choses dans une interview à battons rompus dans les colonnes de votre Journal. A titre de rappel, il faut noter que plusieurs cas de crimes passionnels, d’assassinats et de lynchages ont été répertoriés sur l’étendue du territoire national. Les dernières en date, sont les décès tragiques de 6 membres issue d’une même famille le 7 avril dernier à Nanga Eboko, dans le département de la Sanaga Maritime région du Centre. On peut également ajouter sur ce sombre tableau, l’assassinat il y a quelques jours par son conjoint, d’une enseignante de physique chimie technologie, jadis en poste au lycée de Mokolo dans la région de l’Extrême-Nord.
Quelles peuvent être les raisons qui expliquent la montée des crimes passionnels au Cameroun ces deux dernières semaines ?
Les raisons sont multiples. Sur le plan biologique, psychologique on peut noter des troubles de personnalités. Donc, certains gens ont des réactions impulsives qui agissent avant de réfléchir. On peut avoir d’autres personnalités pathologiques comme des personnalités limites, à cheval entre le mode de fonctionnement normal et anormal. On a des personnes qui sont atteintes d’une maladie mentale comme la dépression, comme les troubles psychotiques, les troubles anxieux ou qui consomment des substances psychoactives à l’instar des drogues, des alcools qui facilitent le passage à l’acte. A côté de cela, nous avons des situations qui fragilisent l’individu sur le plan psychologique. On les appelle des situations de mal-être. Plutôt l’individu les vit, plus il est à risque, parce que évoluant dans un environnement de maltraitance, de stress. Cette situation va entraîner des failles, dans son mode de fonctionnement, ce qui pourra être à l’origine de tels actes.
Des carences affectives peuvent aussi être à l’origine de ce décalage de comportement. Sans amour, on est vide et à la merci d’une maladie mentale, être un danger en couple, en société.
Comment comprendre les cas de suicide en couple ou en milieu professionnel ?
La difficulté à gérer le stress ou la séparation, s’explique par les manques affectifs que j’ai cité à votre première préoccupation. La pression négative à la maison ou au travail, peut-être cause d’une montée de stress aiguë ou chronique. Certains n’arrivent malheureusement pas à le gérer et se réfugient dans la consommation des substances psychotropes qui ne sont pas des solutions au contraire.
Des personnes qui ont par exemple perdues plusieurs membres de leur famille, peuvent estimer qu’elles n’ont plus de raisons de vivre et passer à l’acte.
Doit-on craindre des cas de présence de personnes incontrôlables au Cameroun, si on est tenté de se référer aux événements qui se déroulent dernièrement ?
C’est vrai que de plus en plus on trouve des cas qui sont secondaires au mal être que j’évoque depuis l’entame de notre entretien. Sur le plan relationnel, ce qu’on a l’habitude de dire, parce que ici, nous sommes en face des problèmes de santé mentale, c’est qu’une situation n’a jamais une seule cause. Il y a une panoplie de facteurs qui peuvent expliquer cet état.
Je pense qu’il ne faut pas craindre ce dysfonctionnement, ce n’est pas de la folie. Il faut peut-être le relever, lorsqu’on parle de dysfonctionnement ou de maladie mentale, ce n’est pas toujours faire évocation à la folie. Dysfonctionner c’est le changement du rapport avec autrui. On peut avoir des personnes extrêmement jalouses nous appelons cela de la paranoïa, un manque de confiance en soit qui rend l’autre méfiant toujours sur ses gardes. Lorsque ces personnes atteintes de ce type de dysfonctionnement réussissent à trouver quelqu’un qui rétabli cet équilibre et que brutalement cet équilibre se rompt, la perturbation s’installe pouvant conduire à des crimes passionnels, des suicides et autres.
Quelle est la thérapie à utiliser pour guérir ce mal ?
Généralement, la base du passage à l’acte c’est des situations de mal-être. Les problèmes financiers, affectifs et autres. Il est donc très important actuellement dans notre société, de mettre l’amour au centre de nos relations professionnelles ou conjugales. Mettre l’amour au centre de nos relations, c’est prêcher la bonne communication, bonne interaction, solidarité qui signifie prendre soin de soi et de l’autre.
A la maison par exemple, les enfants grandissent dans un monde enclin à la violence, les médias imposent la violence aux téléspectateurs… Le résultat de ce rapport de proximité avec la violence est malheureusement ce que l’on vit aujourd’hui. On ne peut que reproduire ce qu’on reçoit.
Il faut que les uns et les autres apprennent à gérer le stress, les problèmes. Il faut intégrer que c’est normal d’avoir mal, d’être déçu, de rencontrer des échecs dans la vie. Il faut relativiser et voir le côté positif des choses, rester positif et partager sa douleur avec son entourage ou avec les experts. Le ministère de la Santé Publique, a mis sur pied un numéro vert le 1510 pour l’assistance psychologique nationale. C’est un numéro gratuit à appeler 24h/24.
Propos recueillis par Lavoisier Essama
