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Logement : Les mille et une misères des agents immobiliers

Logement

Les mille et une misères des agents immobiliers

Dans un contexte marqué par une démographie sans cesse croissante et un défaut d’infrastructures de qualité susceptibles de satisfaire la demande, émerge une corporation qui il y a quelques années était encore inconnue de la plupart des Camerounais : les agents immobiliers. Il s’agit des personnes qui jouent les entremetteurs entre bailleurs et potentiels locataires. Cependant, l’activité évoluant dans l’informel, ces acteurs qui peinent à avoir des revenus stables, sont accusés par certains de leurs clients d’escroquerie. Or, s’il était pris au sérieux par l’Etat, ce secteur serait porteur et rehausserait l’économie camerounaise.

Dossier réalisé par Raphaël MFORLEMAGENTS IMMOBILIERS

Le règne de l’anarchie

Situé entre la pharmacie EMIA et le CHU, la clôture de l’institut universitaire polytechnique de Yaoundé, tient lieu de panneau publicitaire. L’on peut y découvrir des messages tels : appartements meublés à louer, maison de 3 chambres, 2 douches, un salon, 1 cuisine avec balcon à louer, pour ne prendre que ces exemples. Des messages qui informent sur la disponibilité des logements dans ce coin de la capitale. Non loin de là, le même constat est observé sur la clôture de l’université de Yaoundé 1 Ngoa Ekélé, entre le lieudit château et le carrefour Cradat. Au quartier Mfandena, ce sont les domiciles aux abords du tronçon pharmacie du stade/mosquée de Ngousso qui font l’objet d’affichage. Les bacs à ordure de la capitale politique ne sont pas épargnés. Disposés dans les quatre coins de la ville de Yaoundé, ces bacs sont incontournables pour les agents immobiliers. Vu leur mobilité, il est possible qu’un acteur de ce domaine basé au quartier Ngousso puisse offrir ses services à un usager au quartier Mendong. Un phénomène rendu possible par le fait que les bacs sont mutés d’un coin de la ville à un autre. Ces messages perçus çà et là sont rédigés à l’aide de la craie qu’importe la couleur, du charbon de bois ou imprimé sur du papier. Des communications qui donnent à la capitale politique un nouveau décor pas toujours reluisant, notamment en cette veille de CAN. Malgré les interdictions. Des pouvoirs publics de communiquer sur des bâtiments et clôtures des édifices publics et privés, certains agents immobiliers outrepassent cette mesure. C’est le cas de la clôture du stade du camp des sapeurs-pompiers du quartier Mimboman, qui subit les affres de cette activité qui prend des proportions inquiétantes dans la ville de Yaoundé. Même si d’aucuns émettent des plaintes vis-à-vis des acteurs de ce secteur vu le laisser-aller, d’autres par contre se réjouissent des services rendus possibles par ceux-ci. Les personnes en quête de logement qui ne disposent pas de temps pour sillonner les quartiers à pieds durant des heures, sont des principaux bénéficiaires.

REVENUS

Un gisement financier sous-exploité

Dans la profession d’agent immobilier, les gains débutent au moment de l’ouverture du dossier dont les frais s’élèvent à 5 000 FCFA. Une fois cette étape bouclée, la visite des locaux avec l’acquéreur peut alors commencer. Lorsque le client est satisfait sur le choix de l’une des maisons qui lui ont été présentées, la seconde étape est celle qui consiste à reverser une commission équivalente à la somme d’un mois de loyer dudit local à l’agent immobilier. Cette étape peut être bouclée avant ou au moment de la signature du contrat de bail avec le propriétaire. Un agent immobilier qui dans l’exercice de sa profession remplit toutes ces étapes selon la réglementation est capable de se faire un revenu mensuel d’environ 275 000 FCFA en logeant par exemple 5 clients le mois. Soit, 25 000 FCFA pour les frais d’ouverture de dossiers à raison de 5 000 FCFA par client et 250 000 FCFA pour les commissions soit 50 000 FCFA par client. Mais il peut arriver qu’un agent soit confronté à un client qui n’a pas assez de moyens. De ce fait, une remise sur les frais de commission allant de 20 %, 30 %, 40 % voire 50 %, peut être accordée au client. De ce fait, un agent qui effectue une remise de 50% et qui loge 5 clients dans des appartements de 50 000 FCFA le mois peut se retrouver avec des gains en frais de commissions d’environ 125 000 FCFA et de 25 000 FCFA de frais d’ouverture de dossier pour un total de revenus mensuels d’environ 150 000 FCFA. Pour certains acteurs de ce secteur, il y a des journées plus fructueuses que d’autres. Michel Kebong laisse entendre qu’«il peut arriver qu’un agent immobilier se fasse un bénéfice de 405 000 FCFA en une seule journée en hébergeant par exemple un client dans un appartement de 400 000 FCFA le mois et bénéficie des frais d’ouverture de dossier de 5000 FCFA et une commission à 400 000 FCFA. En effectuant 4 voire 5 placements de produits de ce standing, il est fort possible que l’agent se fasse plus d’un million de FCFA en 30 jours ». Dans ce secteur, tout est fonction du type de produits dont un agent dispose : le haut standing (appartement meublé, duplex), moyen standing (appartements, studios et chambres modernes) bas de gamme (studios et chambres simples). Mais également, tout peut arriver comme une manne du ciel au moment où l’on s’attend le moins, laisse-t-on entendre. À Yaoundé, la demande en logement est plus abondante que l’offre. Michel fait savoir qu’en mettant son portable hors service en une journée, ce sont environ 70 appels manqués qu’il retrouve. Et sur les 70 appels, environ 50 sont des potentiels clients en quête logement et probablement 5 appels sérieux. Vu sous cet angle, ce sont en moyenne 1500 appels le mois dont 150 appels sérieux. Sur les 150 appels sérieux, c’est-à-dire des clients qui veulent véritablement des logements et qui sont parés à débloquer les fonds, Michel indique être capable de satisfaire 5 à 10 clients par mois. Il poursuit en faisant savoir que les samedis et les dimanches sont des jours indiqués pour recevoir les appels sérieux.PROFIL

Un métier peu sélectif

Dans l’activité d’agent immobilier, on retrouve des personnes de diverses catégories : hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, et même des personnes âgées », témoigne Michel Kebong, agent immobilier rencontré au quartier Ngousso à Yaoundé qui exerce dans cette activité depuis l’âge de 18 ans. Même si elle est représentée à un faible pourcentage dans ce secteur d’activité, la gent féminine est spécialisée dans la création des agences immobilières. « Les femmes qu’on retrouve dans ce milieu sont des dames propriétaires des entreprises immobilières. Disposant des moyens financiers et passionnées par l’innovation elles deviennent propriétaires d’agences, modernisent l’activité et recrutent un personnel avec lequel elles travaillent. Mais il faut relever qu’au Cameroun, il existe une minorité d’entreprises immobilières », apprend-on. Au Cameroun, les agents immobiliers exercent dans l’informel. La plupart des jeunes de 18 ans, 20 ans se retrouvent dans cette activité par défaut d’emploi stable. Pour éviter de devenir des bandits de grands chemins, ils préfèrent saisir cette opportunité offerte par la société. Outre ces jeunes à la quête de leurs repères, on retrouve également dans cette activité des personnes de 30 ans qui ont choisi comme travail, le service d’agent immobilier. Mais également, des quinquagénaires qui ont perdu leur emploi et qui se sont reconvertis en agents immobiliers et des retraités de 60 ans, 70 ans physiquement solides qui ont intégré le secteur pour arrondir leur fin de mois. Au Cameroun, 80 % à 90 % des personnes qui exercent comme agents immobiliers sont des particuliers, des personnes qui travaillent à leur propre compte. À 20 ans aujourd’hui, Michel Kebong est propriétaire d’une agence immobilière virtuelle dénommée ‘‘Immo pour tous’’ ; elle est virtuelle tout simplement parce qu’elle ne dispose pas d’un siège et n’est aucunement légalisée. Comme Michel, la plupart des agents immobiliers dans la ville Yaoundé ne sont pas reconnus par l’Etat et ne sont pas géographiquement identifiables sur le terrain. Pour exercer dans ce secteur, il faut disposer d’un carnet d’adresses bien fourni, avoir un contact téléphonique toujours accessible, être toujours disponible pour un déploiement de jour comme de nuit lorsque le besoin se fait sentir. Être doté d’une condition physique irréprochable est l’idéal, car c’est une activité qui requiert beaucoup de marche. Le métier d’agent immobilier n’a pas d’heure de travail fixe ; en matinée comme en nocturne, les agents sont disposés à satisfaire leur clientèle. Vu ces exigences de la profession, le peu de dames qu’on retrouve comme démarcheurs est exempt du service en nocturne pareil pour celles des dames d’un certain âge, indique une source.LOGEMENT

Entre malhonnêteté et bonne foi, tout y passe

Les difficultés rencontrées par les agents immobiliers sont de divers ordres. Dans un premier temps, l’on peut citer le désistement des clients. « Il arrive plus souvent que je prenne rendez-vous avec un client pour visiter un appartement, celui-ci se désiste en cours de chemin sans me le faire savoir. Une fois sur le terrain, je me retrouve seul et son téléphone est inaccessible ». Autre souci, ce sont les bailleurs. Certains propriétaires d’appartement n’aiment pas les agents immobiliers. « Lorsqu’on se présente dans un chantier en finition comme agent immobilier, on est repoussé par ces propriétaires même si l’on peut émettre un bémol pour ce qui est des bailleurs résidant à l’étranger. Ceux-ci apprécient le travail qu’effectuent les agents immobiliers. Sur la liste des difficultés, l’on peut rajouter la complexité de la clientèle. Après virement des fonds et contrats paraphés entre bailleur et locataire, il arrive souvent que le client se désiste et exige le remboursement du montant versé sans avoir intégré le domicile. Une situation qui conduit dans la plupart du temps bailleur, client et agent immobilier devant les forces de sécurité. Aussi, les agents immobiliers se font chasser sur le terrain lorsqu’ils veulent apposer des affiches d’annonces sur les murs. La problématique de la demande en logement plus élevée que l’offre fait en sorte que les agents font l’impossible pour satisfaire la clientèle. Les agents immobiliers ne sont pas les seuls à faire face aux difficultés, les clients en retour se plaignent de mauvaise foi, d’escroquerie et de manque de sérieux de certains agents immobiliers. Stéphane Watchock revient sur une scène d’escroquerie orchestrée par un agent immobilier dont il a été victime. « Étant à la quête d’un appartement pour mon grand-frère et moi, j’ai approché un agent immobilier au travers d’un contact que j’avais relevé sur une affiche au niveau du Lycée bilingue d’Essos. J’ai ouvert le dossier en payant 5 000 FCFA comme l’indique la procédure. L’agent m’a emmené visiter plusieurs appartements et un m’a plu au quartier Titi-Garage à Yaoundé et les travaux étaient en finition. Au terme de la visite nous nous sommes accordés de nous reparler au téléphone. Quelques jours plus tard, j’ai convié celui-ci à la maison pour finaliser la procédure d’intégration de l’appartement, nous lui avions versé une somme de 350 000 FCFA pour 6 mois de loyer a raison de 50 000 FCFA par mois et 50 000 FCFA de frais de commission. En effectuant une randonnée à l’appartement question de voir si les travaux sont achevés et que je procède au nettoyage, j’ai trouvé une autre dame en train d’aménager dans le même appartement. Après investigation, l’agent immobilier était porté disparu et l’argent volatilisé ». Tout près de ces images odieuses des agents immobiliers, certains témoignages font état de ce que certains agents sont indispensables pour certains propriétaires immobiliers. Côté client, d’aucuns se réjouissent d’avoir effectué de bonnes affaires avec des agents immobiliers. C’est le cas de Vanessa Mbita qui a bénéficié des services d’un agent qu’elle qualifie de disponible, fiable et excellent.

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