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LE PLAN D’APUREMENT DE LA DETTE DES ENSEIGNANTS AU CAMEROUN EST-IL UN LEURRE? (Suite et fin)

Par Mathieu Davy EYA, enseignant et auteur.

2- Des prémices aux décisions définitives de sortie de crise

Pour comprendre la grogne du corps enseignant, il faut regarder aux éléments qui structurent la constance de la grogne mais aussi aux éléments variables qui sont pour certaines raisons souvent circonstancielles mais toutes aussi décisives.

a- Les constantes

Dans un débat télévisé, organisé aux aurores du déploiement d’OTS par le journaliste Vyslé OYIE, où nous avions eu en face notre enseignant, le professeur Mathias Éric Owona Nguini, des propositions ont été formulées par nous en amont de la déclinaison, par le gouvernement et sous l’impulsion de la décision présidentielle, du plan d’apurement de la dette des enseignants. Nous avions fait des propositions sur ce qui semblait être de notre point de vue des éléments de constance plongeant toujours à bien des égards les enseignants dans un éternel recommencement de revendications.

La première constante était la suppression de toute forme de payement salariale des enseignants de manière partielle. L’idée était de ne pas faire augmenter la dette par le truchement de la satisfaction d’une moitié en négligeant le fait que, ceux qui sortent de l’école aujourd’hui, qui ne reçoivent pas la totalité de leurs salaires seront des indignés de demain et le mouvement continuera de se remodeler. Il fallait, non pas seulement solder la dette de ceux qui cris si fort aujourd’hui leur mal-être, mais en finir définitivement avec la clochardisation des enseignants.

Deuxième constante, il fallait très clairement passer à une automatisation juste, fidèle et fixe des avancements des enseignants. Sans automatisation des avancements, point de répit pour les enseignants. C’est une constante extrêmement importante dont le gouvernement devait se saisir que nous avions mis en évidence. Lorsqu’un enseignant sort de l’école, pour les plus jeunes, les besoins sont primaires. Le souci de se construire un foyer est encore latent pour plusieurs d’entre eux. Après deux ou trois ans d’exercice, ce n’est plus la même chose. Les besoins ayant augmenté, le salaire adossé à l’activité qu’ils exercent devrait aussi par simple logique et de manière tacite, suivre son cours d’augmentation. Quand un plan de carrière professionnelle est bien ficelé, la ressource humaine dispose des éléments personnels d’auto-évaluation de son évolution ou de son rabaissement. Par contre, quand le plan de carrière est mal ficelé, la ressource humaine se désolidarise de l’une des fonctions sans lesquelles l’activité ne fonctionne pas avec acuité, qui est celle de la fidélisation. La fidélisation du personnel est extrêmement importante et le constat actuel est alarmant. Parmi les fonctionnaires camerounais qui optent très vite de basculer, soit vers d’autres ministères, soit vers d’autres perspectives à l’étranger, se trouvent les enseignants au premier rang.

La dernière constante à notre sens était la clarification du statut des vacataires dans les lycées dont le sujet n’est pas souvent très clairement abordé à cause, pour certains des revendications nombrilistes. S’ils peuvent justifier de manière certaine d’une expérience avisée d’au moins cinq ans, leur confier un statut de contractuel d’administration serait une véritable marque de récompense.

b- Les variables

Dans le processus d’apurement de la dette des enseignants, un enchaînement spécifique aurait mieux fait d’être pris en compte. Premièrement, il aurait fallu réduire de manière extrêmement considérable la période d’étalement de la solde de la dette. Ce temps suffisamment long n’a pas été saisi de bon ton par les enseignants. Il donne plutôt matière à penser que le gouvernement veut gagner du temps. Rendu en 2025, qui sera une année électorale, les réformes structurelles et des changements opérationnels vont se faire.

La possibilité de changement de l’ordre politique exécutoire peut avoir un effet néfaste et entraîner le changement des décisions et des politiques publiques. Rien ne garantit que priorité sera à ce moment donné aux revendications des enseignants. Par principe, par bon sens et de bonne foi, on ne peut pas, sous le prétexte un peu paresseux de manque de trésorerie, relayé au second plan une question aussi existentielle pour la survie, sans exagération aucune, de l’enseignant. Il aurait fallu donc réduire cette période qui est d’ailleurs aujourd’hui le nœud cornélien du débat et l’origine de moult discordes entre les parties.

Ensuite, dans l’ordonnancement de payement de la dette, deux ans plutôt nous le disions déjà, qu’il fallait mettre un accent prioritaire sur le payement des avancements.

La déclinaison était la suivante à notre sens :

– Niveler avant tout les salaires des fonctionnaires ressortant du Minesec et du Minedub, en faisant intégrer les avancements du personnel et le complément de salaire pour ceux nouvellement sortis des écoles.

– Procéder à un plan d’apurement réduit selon la règle FIFO (first in first out). Cette exigence devait consister à désintéresser les plus anciens dont l’attente a été plus longue et dont clairement les exigences sociales sont plus poussées. Procéder par suite au payement sur une période maximale de deux ans en ayant pris au préalable soin de reclasser chaque travailleur à son indice avec l’effet financier qui s’y accole, les rappels des avancements pendants, puis après, les rappels des salaires couplés aux rappels de non-logement.

– D’autres mesures avaient aussi été proposées dans le but, non pas seulement de régler la dette des enseignants mais plus encore de rehausser leurs considérations sociales. Cette volonté découle du principe de la discrimination positive. Il part de ce qu’en entreprise il n’existe pas seulement un principe d’égalité entre les gens mais plus encore celui de l’équité entre les gens.

Égalité entre les gens au niveau du salaire de base mais équité dans la valorisation du sacrifice qu’entretiennent et entreprennent certains plutôt que d’autres dans l’exercice de leur activité. André-Compte Sponville, écrivain contemporain français et professeur de philosophie, le disait déjà à bien des égards même si cela choquait les égos et remettait en question les appris familiaux. Dans son ouvrage intitulé Petit traité des grandes vertus, il ne mentionne pas le travail comme un signe ou acte de vertu, encore moins comme une valeur morale, bien au contraire. Il associe le travail, en faisant allusion à l’allégorie biblique du châtiment infligé par Dieu à Abraham après son acte désobéissance, à une corvée. Il signe à cet effet, lors d’une conférence qu’il donne sur la question que: « le travail n’est pas une valeur morale, c’est pourquoi il faut lui donner du sens ». Très souvent on pense à donner de la direction au travail et l’on oublie que pour qu’il soit exécuté avec acuité, le travail a besoin de prendre sens et de faire sens.

Dans cette perspective, le principe de la discrimination positive voudrait que soit pris en compte ceux des enseignants qui exercent dans des zones à risques et des zones enclavées où la vie en soi est plus contraignante que ceux vivant dans les métropoles. Qu’une Prime leur soit allouée pour cette période de privation qui ne doit pas dépasser les cinq ans, sauf sous demande expresse et écrite du personnel en question de vouloir rester plus longtemps dans le même lieu. Les frais de relève pour la prise de service doivent être dûment payés avant le voyage où immédiatement une fois que le travailleur s’est rendu à son lieu de service.

Pour que revive le vrai sens de ce qu’enseigner sans saigner veut dire, il faut un foisonnement efficient des intelligences. Il faut renouveler les logiciels obsolètes et accepter de donner lumière à d’autres sons de cloche à travers des formulations de proposition. C’est en cela que se formalisera l’issue idoine au problème.
M.D.E, 2023.

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