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Vannerie : Un secteur porteur mais peu valorisé

La vannerie : Un secteur porteur mais peu valorisé

Une matière première plus ou moins rare au coût instable ; un secteur d’activité peu structuré où les acteurs excellent dans l’informel et l’anarchie ; une clientèle plus étrangère que locale bien que les coûts des produits soient à la portée de tous. Un marché où un commerçant peine à vendre 2 à 3 mobiliers au terme de 30 jours. C’est avec difficulté que les acteurs du secteur parviennent à engranger un bénéfice 50 000 FCFA voire 60 000 FCFA suite à la vente d’un meuble fait à base de rotin. Voilà l’image lugubre que présente le secteur de la vannerie en particulier au Cameroun.

Dossier réalisé par Raphael MFORLEM

Rotin, Maraka : Au coeur de la fabrication des meubles

Assis sur un banc de fortune, Gaston Biegni, la soixantaine révolue, exerce dans la vannerie depuis 32 ans au sein de l’établissement Boulevard Bambou à la nouvelle route Bastos. De façon mécanique, celui-ci nettoie le maraka, l’un des matériaux utilisés pour la confection des socles et pour la forme à donner au meuble que l’on veut fabriquer. Tout près de Gaston, Jean Paul son collègue à l’aide du rotin, une autre matière utilisée pour la fabrication des objets, tisse un objet dont la forme montée avec du maraka laisse entrevoir un fauteuil en puissance.
Contrairement à l’imaginaire populaire qui laisse entendre que les objets en rotin sont essentiellement confectionnés avec du rotin, l’on découvre que ces mobiliers et objets de décoration sont faits à base de deux matériaux essentiels. Il s’agit d’une part du maraka (long, de forme cylindrique, plus costaud et plus solide que le rotin, utilisé pour le montage des cadres, du socle du meuble ou de l’objet à fabriquer), et d’autre part du rotin (matière plus petite que le maraka, flexible et facilement enroulable ; utilisé pour les attaches, le tissage, les bandes et les finitions ; permet de tisser le socle de l’objet à fabriquer préalablement monter avec du maraka).
Pour obtenir ces matières premières, Albert Ngah, promoteur de Boulevard Bambou au quartier Bastos à Yaoundé fait savoir que « trois principaux départements ravitaillent les marchés de la capitale Yaoundé en maraka et en rotin. Il s’agit du département du Nyong-Esso, la Mefou-et-Akono et la Mefou-et-Afamba qui sont des localités à fort pourcentage de zones marécageuses. Le maraka et le rotin sont produits en zone humide et particulièrement dans les bas-fonds notamment les marécages », indique-t-il. Guy Marcel Mba, promoteur du Centre de vannerie de Mvog-Mbi renchérit : « Deux régions que sont : la région du Sud notamment dans les localités de Zoétélé, Nkilzock et la région du Centre précisément à Mfou, Nkolafamba, Metèt fournissent de la matière première à Yaoundé ».
Le prix d’achat de cette matière première varie en fonction des saisons et de la disponibilité de celle-ci sur le marché. « En période normale, un paquet de 20 à 25 rotins est acheté auprès des grossistes au prix de 6000 FCFA. Lorsqu’il y a pénurie, le même paquet peut couter 7500 FCFA, 8000 FCFA, 9000 FCFA et parfois 10 000 FCFA. Le maraka quant à lui coute aujourd’hui 12000 FCFA dû fait de sa rareté sur le marché à certaines périodes, le prix baisse et le paquet varie entre 5000 FCFA, 7000 FCFA, 10 000 FCFA », explique Gaston Biegni. Que ce soit le rotin ou le maraka, les professionnels de la vannerie s’approvisionnement en fonction du travail à effectuer. Si c’est un salon, des fauteuils ou tout autre objet à fabriquer, ces derniers évaluent la quantité de matériaux à utiliser et passent la commande qui est soit livrée sur place à l’atelier ou alors achetée auprès du grossiste.

Vannerie : Un fonctionnement sur fond d’anarchie

Toute entreprise qui se veut sérieuse est hiérarchisée, et respecte un cahier de charges, sauf que ce n’est pas le cas avec l’activité de la vannerie. Cette activité, du ressort de l’artisanat, fonctionne presque dans l’informel et dans l’anarchie. Dans certaines structures, l’on peut constater qu’il existe dans chaque atelier un chef, un responsable de la structure généralement appelé promoteur ou boss. C’est cette personne qui a la propriété de l’établissement. Ce dernier répond juridiquement devant les autorités en cas de problème au sein de l’entreprise. Loin d’être un simple promoteur, il joue les rôles de directeur général, de directeur d’exploitation, de secrétaire général et même d’interface entre l’entreprise et le client. Il remplit également les fonctions de directeur des ressources humaines car il est responsable du recrutement des employés pour ne pas dire tacherons et se charge de leur mise à la porte pour ne dire licenciement.
Au boulevard Bambou au quartier Bastos, Gaston Biegni fait état de ce que « nous avons au sein de notre établissement un patron qui est le promoteur de l’établissement, un directeur technique et un directeur commercial, des racleurs, des monteurs et des finisseurs. L’on ne saurait dire que c’est un secteur qui répond véritablement aux normes d’une entreprise au sens propre du terme ». Guy Marcel Mba indique : « Il est difficile de présenter des documents attestant de ce que nous évoluons dans la légalité. Nous travaillons dans l’informel, genre vous avez un peu de moyens vous trouvez un espace et vous vous installez ; vous recrutez une personne et d’autres arrivent comme ça, et vous décidez de travailler ensemble pour que chacun puisse avoir un gagne-pain ». La rémunération des travailleurs du secteur de la vannerie est différente de celle des employés des entreprises bien structurées.
Le vannier n’est pas un salarié qui au terme d’un mois attend un salaire. Que l’on soit racleur, monteur ou finisseur, on est rémunéré à la tâche. « Par exemple, si une commande est validée par le chef et que le matériel est disponible, c’est en fonction des performances et du professionnalisme de tout un chacun que le patron peut dire, toi tu t’occupes du montage du socle, toi tu assures le tissage et à un autre il peut dire, toi tu t’occupes des finitions. Et c’est au terme du travail que l’on est rémunéré ».
Le métier de vannier fonctionne dans informel. Les recrutements ne se font pas comme dans d’autres structures où l’on postule et à la suite d’un entretien d’embauche on est retenu ou refoulé. Au Boulevard Bambou comme dans d’autres établissements de vannerie, les recrutements ne se font pas à la va vite : « Lorsque quelqu’un se pointe et désire travailler, on cherche à savoir ce qu’il sait faire puis, on le soumet à plusieurs taches. C’est au terme de celles-ci qu’on évalue s’il est susceptible d’être retenu ou pas », étaie Gaston Biegni.

Fauteuils, Livings : Des oeuvres d’art à la portée tous

Peints aux couleurs, noir, blanc ou encore vernis et assortis aux mousses revêtues de tissus de couleur verte, orange, bleue, jaune ou encore en tissu afritude, les fauteuils faits à base de rotin de fabrication artisanale sont de véritables mosaïques. Ceux-ci font partie d’une série de mobiliers produits par les vanniers, illustre Gaston Biegni : « Nous fabriquons des salons, lits, livings, applis murales, objets de décoration et paniers de divers ordres, pour ne citer que ces exemples ».
Que l’on soit à pied ou en véhicule, ces chef-d’oeuvres ne laissent personne indifférent au regard. Sur l’axe Rond-Point Mvog-Mbi/Poste Centrale ou encore sur le tronçon Ancien-Echangeur/Sous-Préfecture Tsinga sur la nouvelle route Bastos, lieux de fabrication et de commercialisation des produits issus de la vannerie dans la ville de Yaoundé, usagers et passionnés de l’artisanat et du made in Cameroon sont émerveillés par ces créations. D’aucuns s’arrêtent pour admirer de près le savoir-faire des artisans camerounais en terme de mobiliers et objets de décoration intérieur. Comparativement aux mobiliers de fabrication industrielle produits localement ou importés, les produits à base de rotin ont la particularité qu’ils sont faits à la main. De la phase de montage, de tissage ou pour les finitions, aucune machine n’est utilisée tout au long du processus. Les artisans prennent de leur temps et de l’énergie nécessaire pour arriver à un rendu final attrayant et irréprochable, apprend-on.
Vue de loin, on a l’impression que les mobiliers, objets et décoration intérieur en rotin sont très beaux pour être à la portée de tous parlant du coût ; sauf que de près, le constat est différent. Les acteurs du secteur font état de ce que les coûts des articles issus de la vannerie varient en fonction du modèle, du besoin du client et surtout des moyens de celui-ci. Par exemple pour une simple salle à manger de 4 places le prix oscille entre 80 000 FCFA, 120 000 FCFA. Pour une salle à manger de 6, 8, 10 places les prix peuvent aller de 200 000 FCFA, 250 000 FCFA, 300 000 FCFA. Parlant des fauteuils, les coûts oscillent entre 50 000 FCFA, 100 000 FCFA, 150 000 FCFA, 200 000 FCFA, 300 000 FCFA. Pour les armoires, les moins couteuses sont estimées à 120 000 FCFA et les plus couteuses environ 250 000 FCFA parfois plus car, les prix varient en fonction des designs et des dimensions qui peuvent être moyennes ou très grandes. Evoluant dans l’informel au Cameroun, il est difficile pour les acteurs du secteur de l’artisanat et de la vannerie en particulier d’évaluer les gains qu’ils peuvent se faire à la fin d’un mois.
Guy Marcel Mba fait constater qu’après obtention d’une commande et que le nécessaire pour la réalisation de l’ouvrage est acheté, le reste d’argent est reparti entre les ouvriers. Ce, en fonction de la tache de tout un chacun. Il renchérit en indiquant qu’évaluer les revenus mensuels est d’autant plus difficile parce qu’il n’y a pas un service de comptabilité comme dans des structures sérieuses. Gaston Biegni par contre estime que malgré les différents paramètres soulignés par Guy marcel, après livraison d’une production, l’on peut se contenter d’un bénéfice de 50 000 FCFA à 60 000 FCFAMarché du rotin : Une clientèle plus étrangère que nationale

Gêné par l’attitude réfractaire et désintéressée des camerounais envers les produits artisanaux et la vannerie en particulier, Gaston Biegni exprime sa désolation. « Que ce soit en termes de beauté et de durabilité, les meubles fabriqués à partir de matériaux locaux, entièrement fabriqués à la main, n’ont rien à envier aux meubles de production industrielle locale ou importée. Les meubles en rotin bien travaillés ont une durée de vie d’environ 40, 50 voire 60 ans. Le souci de ces productions, c’est le consommateur camerounais ; il ne fait pas la promotion de l’art, made in Cameroun, mais se procure plutôt des meubles importés ».
La non valorisation de ce secteur par les nationaux n’est pas le seul facteur qui pèse sur cette activité. Même si les consommateurs sont rares, la question du financement est l’une des difficultés rencontrées par les vanniers camerounais. De ce fait, il est quasiment impossible de produire des meubles ou des produits de décoration d’intérieur pour des expositions, comme l’explique Thomas Ondobo Solo, vannier et vendeur de meubles en rotin au Carrefour Mvog-Mbi à Yaoundé : au niveau de l’entreprise ; il n’y a pas de capital pour produire des meubles d’exposition. Pour créer un salon ou des fauteuils destinés à l’exposition, il faut disposer d’au moins 100 000 FCFA de capital. Quand je n’ai pas les moyens de le faire, c’est difficile d’attirer des clients. Quand j’ai des meubles exposés, je peux vendre en moyenne un salon par semaine et je dis Dieu merci. Les clients qui passent des commandes sont extrêmement rares », explique Thomas.
Au boulevard Bambou, les clients qui visitent l’établissement sont d’horizons divers. Certains sont des clients fortunés et amateurs d’art et d’autres ne sont que des clients réguliers qui ont besoin d’un salon ou d’une salle à manger en rotin à un coût abordable par rapport au mobilier industriel. Ces clients sont pour la plupart des expatriés résidant au Cameroun, ou des étrangers friands d’objets d’art de passage au Cameroun, explique Gaston Biegni. Bien que l’activité fonctionne de manière informelle et que les acteurs ne soient pas valorisés, c’est une activité qui nourrit son homme ; si ce n’était pas le cas, il ne serait plus là, a déclaré Guy Marcel Mba.

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