CHRONIQUE LITTÉRAIRE
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LA FEMME DE QUELQU’UN : épisode 07

_________Gerôme__________

… Je viens à peine d’arriver et je découvre un bout de papier sur ma porte, c’est la facture d’électricité.

À moi même : Le délai c’est aujourd’hui. Un quartier où il n’y a même pas la lumière, mais si c’est pour donner les factures ils sont forts.

Il est 20h, pourtant c’est à 17h que je suis arrivé en ville. Mais à cause des embouteillages monstres, j’ai dû faire une éternité dans les circuits. Instinctivement je fais signe à Jodelle et ma mère pour leur faire comprendre que je suis bien arrivé.

_ Bonsoir Gérôme.

La voix m’est familière, mais ce que je trouve étrange c’est le ton avec lequel elle a été employée. Estrela, ma voisine la plus proche apparaît de l’obscurité en faisant sortir de la poche de son pantalon jean ses clés qui bruitent. Elle ouvre énergétiquement la porte de sa chambre. Je suis un peu confus de part sa mauvaise humeur inhabituelle.

Moi : Bonsoir Ma’ah, il y a un problème ?

Elle en entrant : Non, rien t’inquiètes.

Elle s’introduit enfin chez-elle avant de claquer derrière elle la porte en bois massif. Je m’étonne un instant avant de passer à autre chose.

Près d’une heure déjà, je suis dans ma chambre à regarder un match de foot quand j’entends frapper à ma porte. Je baisse le volume du téléviseur pour m’assurer que je ne me trompes pas, mais on insiste. J’enfile un pantalon et je viens ouvrir.

Moi : C’est qui?

_ C’est moi voisin… Estrela.

J’ouvre la porte : Ah. J’ai cru que… Bref, entre.

Elle entre et prend place sur la petite chaise boiteuse de bois à côté de ma cuisinière. Je bloque la porte avant de retourner sur mon lit.

Estrela : Je tenais à m’excuser pour mon comportement de toute à l’heure, c’est juste que j’étais entrain de gérer une situation vraiment intenable.

Moi : Ça je peux comprendre. J’étais juste exaspéré du fait que toi qui toujours est de bonne humeur, tu changes complètement de comportement.

Estrela : C’est Romy…

Romy c’est la petite sœur de Estrela qu’elle héberge depuis l’année dernière. Une petite assez agitée et parfois fugueuse. Je ne suis pas très étonné que cette fois encore elle soit au centre des soucis.

Moi : Et… Qu’est-ce qu’elle a fait cette fois ?

Estrela prend son souffle avant d’exploser : Romy a décidé de me tuer cette fois !!! C’est avec un militaire que l’enfant là a décidé de s’engager.

Moi : À 18 ans ???

Estrela en prenant son visage : Tu veux que je te dise quoi ? Pourtant j’étais sûre qu’elle avait écouté ce que je lui chantait la dernière fois. Mais là n’est pas le pire ein!? Elle est enceinte du Mr et ce dernier ne veut même pas entendre parler d’elle !!! Puisqu’il est marié et père de cinq enfants. Son premier fils dépasse Romy de trois ans tu te rends compte ??

Dans un quartier tels que le nôtre, il est courant de tomber régulièrement sur ce genre d’histoire. À cause de la précarité, le chômage et l’envie de plusieurs jeunes filles, elles se retrouvent à s’engager dans des relations périlleuses à court terme où pour la plupart du temps elles y laissent la vie. Tous ces prédateurs savent où trouver leurs proies et les promesses qu’ils leurs font sont généralement l’aspiration à une vie plus décente ou plus luxueuse ou juste la promesse de l’achat d’un nouveau téléphone ou la dernière paire de chaussures. Généralement ça dégénère et les auteurs de ces atrocités sont absents pour payer les pots cassés.

Moi : Et qu’est-ce que vous comptez faire pour le bébé ?

Estrela troublée : Romy veut faire évacuer le bébé parce que le Mr le lui a ordonné… Mais nous savons tous ce que cela pourrait engendrer.

Moi : Et si le bébé reste qui va s’en occuper ?

Estrela me regarde avec noirceur : Donc tu t’imagines que je serai capable de mettre la vie de ma sœur en danger en la faisant évacuer ?

Moi : Non non. Ce n’est pas ce que je dis, je me demande juste comment vous allez devoir gérer. Vous avez une famille ici ??

Estrela : Mes parents ont disparus dès que la guerre a commencé chez nous à kumba. Et si j’ai fait venir Romy ici c’est parce que l’oncle chez qui elle vivait l’a complètement abandonné.

Avec la guerre dans le Nord-Ouest et Sud-Ouest du pays, plusieurs problèmes ont fait surface, ce qui a entraîné une déportation massive dans les différentes régions. Estrela elle même pour se battre fait ce qu’on appelle chez nous « la vente du piment » une sorte de prostitution atténuée et maquillée par une activité pour blanchir.

Moi : Et… Elle est où à présent ?

Estrela : Elle est sorti là, je l’ai cherché partout jusqu’à perdre sa trace et j’ai vraiment peur qu’arriver où elle va là elle commette le pire. Ça m’intrigue beaucoup.

C’est une situation délicate à laquelle je n’étais vraiment pas préparé. S’engager à aller la chercher à pareille heure ou passer le reste de la nuit à consoler sa sœur malgré la fatigue qui me paralyse.

Moi : Je propose que demain on trouve une solution. Si Romy est sorti à cette heure certainement elle doit savoir où elle va.

Estrela : Peut-être bien ( elle se lève )… Désolé pour le dérangement, je vais aller me coucher.

J’accompagne Estrela jusqu’à la porte d’entrée, juste devant la sienne se tient Romy qui attend les bras croisés.

Estrela : Where were you ? You fool !!!

C’est avec violence que Estrela s’en prend à sa sœur, mais malgré tout j’arrive à la retenir. Finalement les tensions se calment et toutes les deux retournent chez-elles.
Ce genre de scène récurente et parfois même pire. Comme l’impression que les tragédies faisaient constamment partie de notre quotidien.

… Je suis au travail. C’est serré à cause des préparatifs pour la cérémonie de mariage prévue pour aujourd’hui même. Je suis au four et au moulin, ce qui ne me laisse même pas une seconde de répit. Je m’en vais poser les couverts quand je vois mon supérieur venir vers moi… Je l’attends.

Lui : Gérôme ?

Moi : Oui Mr.

Lui : Mme voudrait te voir. Elle vient tout juste d’arriver.

Moi : Je comprends, c’est juste que là présentement il faut tout faire et vite. J’aimerais savoir si c’est possible de la voir un peu plus tard.

Lui : Non, je crois que c’est urgent.

Moi : Très bien. Si vous le dites. Juste le temps pour moi de retirer mon tablier et me laver les mains.

Lui : D’accord, elle t’attend.

Je m’en vais la retrouver. C’est rare qu’elle nous rende visite pendant le service et c’est la toute première fois qu’elle fasse appel à moi.

J’arrive : Mme, vous m’avez appelé ?

Mme Evelyne : Gérôme, tu m’as fait attendre.

Moi : Je m’excuse sincèrement !! C’est juste que nous étions assez pris et il fallait s’assurer que tout aille pour le mieux.

Mme Evelyne : Je comprends. Tu es dévoué et ça me plaît beaucoup… Ton nom est monté jusqu’à mon oreille.

Elle me regarde, je ne dis rien. Espérant pleinement que cet appel se termine par une petite promotion parce que effectivement cette promotion je l’attends depuis des mois.

Mme Evelyne : Entre dans la voiture, on va aller faire un tour. J’espère que ça ne te dérange pas.

Moi : Non Mme, bien-sûr que non.

Elle me prend dans sa voiture, elle au volant et moi assis à côté d’elle. Sur le chemin elle se montre très aimable et surtout maternelle. Elle me donne quelques conseils et me pousse à lui parler de ma relation avec Jodelle.
Finalement nous arrivons dans un autre endroit, apparemment toujours un service traiteur. Elle gare et m’invite à la suivre dans un bâtiment.

Mme Evelyne : Ici c’est mon deuxième restaurant dans Yaoundé et j’ai besoin d’un homme de main. La compétence c’est quelque chose qui manque dans mon équipe, ainsi que le management… Mais à te voir travailler j’ai été frappée par ta perspicacité à gérer ton équipe. Je veux donc te proposer d’être le manager de ce restaurant.

Au départ, pour moi c’est une farce. Je ne réagis pas. Mais son regard me fait comprendre qu’en fait elle pensait vraiment ce qu’elle disait. Je la regarde en écarquillant les yeux.

Moi : Mais Mme…

Mme Evelyne : Je sais, c’est peut-être étonnant et écrasant pour toi. C’est la raison pour laquelle je te donne du temps pour réfléchir. Je vais te dire une chose Gérôme, ne pense pas toujours que ce qui arrive aux gens leur arrive parce qu’ils ont payés un quelconque prix tordu. Parfois le seul prix à payer c’est le travail acharné. J’ai besoin de quelqu’un qui travaille avec passion, un bosseur !! Et en observant ta façon de faire et avec les rapports de ton chef d’équipe j’ai été très satisfaite. Tu mérites vraiment ce poste et il ne tient qu’à toi de l’accepter.

C’était extrêmement au dessus de mes attentes !! Je voulais un avancement d’accord, mais être manager dans cette grande enceinte ?? Puisque le restaurant où nous nous trouvons est de loin supérieur à celui où je travaille actuellement. Mme Evelyne a insisté l’année dernière et cette année pour que je cherche un BTS en hôtellerie et restauration certainement pour avoir une attestation pour ce poste. J’ignore quelle prière ma mère a faite mais nous avons été exaucé.

La première personne qui me traverse l’esprit c’est Jodelle, je n’imagine même pas la joie qu’elle aura en apprenant cette nouvelle. Tout de même face à Mme Evelyne je ne cache pas mon contentement, mais je fais tout pour rester professionnel dans mes émotions.
Une promotion !!!

À suivre…

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